La propagande de Berlusconi en Italie sur la guerre en Ukraine : vérification des faits

Selon le chef du parti italien Forza Italia, l’ancien Premier ministre Silvio Berlusconi, l’Ukraine est responsable de la guerre d’agression russe, mais ses affirmations sont largement démenties par les faits. Ensuite, ces faits sont connus des Italiens, écrit le média italien PagellaPolitica.

Le 19 octobre, l’agence de presse LaPresse a publié un document audio, enregistré secrètement lors d’une assemblée de Forza Italia à la Chambre, dans lequel on entend Silvio Berlusconi reconstituer lui-même la responsabilité de la guerre en Ukraine. En bref : selon l’ancien Premier ministre, le conflit est né à cause de l’Ukraine et de son président Volodymyr Zelensky, tandis que le président russe Vladimir Poutine a dû entrer en guerre contre sa volonté. 

Le lendemain, dans une interview au Corriere della Sera, le leader de Forza Italia s’est défendu contre les critiques qui lui sont parvenues ces dernières heures, affirmant qu’il ne voulait donner “aucune interprétation absolue à l’invasion de l’Ukraine par la Fédération de Russie.”

Déjà quelques jours avant les élections du 25 septembre, invité de Porta a Porta sur Rai1, Berlusconi avait fait des déclarations similaires, affirmant que l’objectif de Poutine était de remplacer Zelensky par des “gens bien”, une expression également utilisée dans l’audio publié par LaPresse.

Qu’est-ce qui est vrai et faux dans la reconstitution faite par le leader de Forza Italia ? Nous avons vérifié les propos de Berlusconi, qui a dit un certain nombre de choses qui ne sont pas fondées.

L’Ukraine a-t-elle violé les accords de Minsk ?

“En 2014, à Minsk, en Biélorussie, un accord a été signé entre l’Ukraine et les deux républiques du Donbass nouvellement formées pour un accord de paix, sans qu’aucune n’attaque l’autre. L’Ukraine jette ce traité aux orties un an plus tard et commence à attaquer les frontières des deux républiques.”

Cette reconstitution est erronée. Un premier accord de cessez-le-feu avait été signé à Minsk, en Biélorussie, en septembre 2014, pour mettre fin aux violences qui avaient éclaté en avril de la même année dans la région ukrainienne du Donbass, après que des séparatistes pro-russes eurent pris d’assaut des bureaux institutionnels dans certaines parties des régions de Donetsk et de Lougansk. La trêve n’avait cependant pas duré, et les affrontements et les violences, des deux côtés, avaient repris peu après.

Après de nouveaux mois de violence, un second accord de cessez-le-feu a été conclu à nouveau à Minsk en février 2015. Là, entre autres choses, la Russie et l’Ukraine sont convenu que les régions séparatistes pro-russes reviendraient sous le contrôle total de l’Ukraine et que l’Ukraine adopterait une réforme constitutionnelle pour leur accorder un statut spécial. Ces deux conditions ne se sont jamais concrétisées.

D’une manière générale, il est faux, contrairement à la déclaration de Berlusconi, que cet “accord de paix” ait été violé par la décision de l’Ukraine d’attaquer les frontières des deux républiques séparatistes autoproclamées et non reconnues. Comme on peut le lire dans plusieurs rapports (ici par exemple, celui de l’ONG de défense des droits de l’homme Human Rights Watch de 2017), les accords conclus à Minsk en 2015 ont conduit à une réduction générale des hostilités et des violences, même si de fréquentes violations du cessez-le-feu ont été enregistrées des deux côtés.

Selon les Nations unies, les décès de civils sont passés de 2 084 en 2014 à 955 en 2015 et 112 en 2016. Le nombre de morts au combat, militaires et civils, a également diminué de 2014 à 2015, selon les données du programme de données sur les conflits Upssala, de l’université de la ville suédoise du même nom. Par la suite, jusqu’en 2022, le niveau de la confrontation armée dans le Donbass est resté à une intensité plus faible.

En général, quand on parle du non-respect des accords de Minsk, on entend, d’une part, l’incapacité de l’Ukraine à adopter une réforme constitutionnelle qui accorderait une forte autonomie aux régions séparatistes et, d’autre part, l’incapacité de la Russie à rendre au gouvernement ukrainien le contrôle des territoires séparatistes.

Contrairement à la déclaration de Berlusconi sur une attaque ukrainienne aux frontières, nous pouvons dire qu’au niveau général, la trêve a fondamentalement tenu, avec une baisse drastique de la violence et des décès de 2015 à 2022, même si évidemment, il y a eu des violations du cessez-le-feu des deux côtés.

Bilan des morts dans les régions séparatistes pro-russes

“Les deux républiques ont subi des pertes parmi les militaires qui atteignent, me dit-on, 5, 6 ou 7 milles morts”, a déclaré Berlusconi.

Le chiffre cité par Berlusconi est exact. Selon les données du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme, entre avril 2014 et décembre 2021, il y a eu au total environ 14 000 victimes dans le conflit du Donbass : environ 3 400 civils, environ 4 400 militaires ukrainiens et environ 6 500 membres des milices pro-russes.

Zelensky a-t-il triplé les attaques contre le Donbass ?

“Voilà Zelensky : tripler les attaques contre les deux républiques”, a déclaré Berlusconi.

Cette accusation est sans fondement. Volodymyr Zelensky a été élu président de l’Ukraine en mai 2019 et, depuis le début de son mandat, il tente de négocier une solution diplomatique pour le Donbass avec la Russie, selon la “formule Steinmeier” (du nom du président allemand Frank-Walter Steinmeier). Pour mettre fin aux violences, cette stratégie prévoyait des élections locales dans les régions occupées du Donbass et la reconnaissance de leur autonomie particulière.

Alors que ces tentatives de négociation se poursuivaient, il n’est pas vrai que les attaques ukrainiennes contre les républiques autoproclamées de Lougansk et de Donetsk, qui font partie de la région du Donbass, ont triplé, comme l’a dit Berlusconi. Les données sur les décès civils et les morts au combat, militaires et civils, mentionnées ci-dessus indiquent que de mai 2019 à février 2022, il n’y a pas eu d’augmentation des attaques, car il y a eu une baisse par rapport aux années précédentes.

Selon l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), la plus grande organisation régionale intergouvernementale de sécurité pour la promotion de la paix, les violations du cessez-le-feu et la violence en général ont diminué en 2019 en comparaison à 2018. L’OSCE a également signalé une diminution des violations et de la violence en 2020 et 2021.

Pour récapituler : contrairement à ce qu’a dit Berlusconi, depuis que Zelensky est devenu président de l’Ukraine en mai 2019, jusqu’à l’invasion de la Russie en février 2022, la violence dans le Donbass a diminué par rapport à avant.

Une propagande presque invérifiable

En plus de ces déclarations, Berlusconi en a aussi fait d’autres qui sont invérifiables ou du moins peu crédibles. Entre autres, le leader de Forza Italia a déclaré, par exemple, que le président russe Vladimir Poutine a été fondamentalement contraint à une guerre qu’il ne voulait pas, afin d’établir “un gouvernement déjà choisi par la minorité ukrainienne de personnes décentes et pleines de bon sens.”

Berlusconi a également ajouté qu’après l’invasion de l’Ukraine, les militaires russes “ont été confrontés à une situation imprévue et imprévisible de résistance de la part des Ukrainiens, qui ont commencé dès le troisième jour à recevoir de l’argent et des armes de l’Occident.” On peut voir ici que l’aide militaire occidentale à l’Ukraine n’a pas commencé “à partir du troisième jour” après l’invasion de la Russie, mais des années auparavant, et s’est accrue après l’invasion russe de la Crimée et du Donbass en 2014.

La partie du discours de Berlusconi dans laquelle il affirme que Poutine pensait atteindre la capitale ukrainienne Kiev “en une semaine” et “déposer le gouvernement actuel en peu de temps” n’est pas non plus vérifiable. Le discours par lequel Poutine, le 24 février, a effectivement annoncé l’invasion de l’Ukraine semblerait le confirmer, mais en temps de guerre, les documents secrets ont souvent plus de valeur que les déclarations publiques. Quoi qu’il en soit, il semble indéniable que quelque chose dans les plans de Poutine n’a pas fonctionné et que la Russie était, et est, dans une situation “imprévue et imprévisible”, comme l’a dit Berlusconi.

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